Tribune parue dans Le Monde

Dans une tribune du « Monde », deux cents médecins et chercheurs en toxicologie
appellent la France à agir pour que la réforme de la réglementation Reach ait lieu.
Elle vise à renforcer le contrôle de l’utilisation des substances chimiques dans l’Union
européenne. La France doit aussi soutenir l’adoption rapide du règlement pour
réduire la dépendance européenne aux pesticides (SUR).

En Europe, des dispositifs réglementaires ont l’ambition affichée de contrôler et de protéger
des risques des produits chimiques, auxquels écosystèmes et humains sont exposés
quotidiennement. Ces dispositifs qui ont pour acronymes Reach (sur l’enregistrement,
l’évaluation, l’autorisation et les restrictions des substances chimiques produites ou
commercialisées dans l’Union européenne), CLP (règlement relatif à la classification,
l’étiquetage et à l’emballage des substances) et SUR (Regulation of Sustainable Use of Plants
Protection Products, soit réglementation de l’utilisation durable des produits
phytopharmaceutiques), restent largement inconnus du grand public, et hors du débat
démocratique. Alors qu’ils nous concernent tous lorsque nous utilisons une peinture, nous
portons un vêtement « technique » imperméable, nous achetons des meubles ou lorsque nous
nous alimentons.


Ces dispositifs font l’objet de critiques récurrentes depuis leur mise en application. Le
règlement Reach, entré en vigueur en 2007, vise à contrôler la fabrication et l’utilisation des
substances chimiques dans l’Union européenne. Mais de nombreux obstacles freinent sa mise
en œuvre : des dossiers trop souvent incomplets, des procédures administratives lourdes et
complexes, jugées par la Commission elle-même trop lentes pour protéger les citoyens contre
les risques liés aux substances les plus dangereuses ; et surtout des lacunes dans
l’identification des dangers, notamment des perturbateurs endocriniens, et des usages des
substances.
A titre d’exemple, on estime à 100 000 le nombre de molécules mises sur le marché et à
70 000 le nombre de celles dont les dangers sont insuffisamment caractérisés. Reach est très
lié à un autre règlement, le CLP, relatif à la classification de la plupart des substances
chimiques dangereuses ; or, des évolutions importantes sont en cours.
Une réforme cruciale
Dans sa stratégie sur les produits chimiques, un des piliers du Pacte vert européen, la
Commission estimait que la révision du règlement Reach était nécessaire. Tellement cruciale
qu’elle avait annoncé le 25 avril la mise en œuvre d’un plan d’interdiction des substances
toxiques pour la santé et l’environnement. Son report, annoncé le 18 octobre, traduit
notamment la pression des lobbys industriels. Le gouvernement français doit donc prendre ses
responsabilités, intensifier son action et défendre la réforme de Reach.

Reach servira par exemple à appliquer les trois classes de danger désormais reconnues pour
les perturbateurs endocriniens (PE) grâce à la révision du CLP. Celle-ci était attendue depuis
des années par la communauté scientifique et par les organisations non gouvernementales :
elle permet notamment de prendre en compte les dangers non reconnus par la réglementation
actuelle et d’élever le niveau de protection des populations et de l’environnement. Cependant,
pour que cette évolution ne reste pas une coquille vide, il est nécessaire d’intervenir sur le
niveau de données exigées qui, lui, relève de Reach (nature des tests d’identification des effets
des PE, avec exigences concernant des voies peu explorées).


L’enjeu est aussi d’assurer son application le plus tôt possible, avec d’autres avancées, telles
que la possibilité de prendre – enfin ! – en compte l’exposition à des mélanges de substances
en vue de limiter le risque d’effet cocktail ; la possibilité d’interdire certains usages grand
public et professionnels de substances les plus dangereuses. L’évaluation des risques par
famille de substances, et non plus au cas par cas en est une autre. L’exemple des bisphénols
(avec le cas emblématique du bisphénol A remplacé par des alternatives insuffisamment
caractérisées) ou des perfluorés montre que dans une même famille de nombreux composés
peuvent partager la même toxicité.

La France devra également promouvoir la révision d’un autre règlement, celui concernant les
pesticides. Pièce maîtresse du Pacte vert européen, le SUR est actuellement en discussion au
niveau du Parlement européen. Il prévoit l’adoption d’un objectif juridiquement contraignant
de réduction des pesticides de 50 % à l’horizon 2030 ainsi que l’extension des zones tampon à
proximité des zones utilisées par le grand public (habitations, écoles). Il est à craindre que sa
mise en œuvre soit elle aussi repoussée.

Connaissances alarmantes
Les connaissances scientifiques sur l’état de la pollution (agro-) chimique qui ne cessent de
s’accumuler sont pourtant très alarmantes. Elles imposent des réponses politiques solides et
rapides. Citons simplement deux expertises récentes : celle de l’Inserm publiée en 2021 sur
les risques sanitaires des pesticides pour les professionnels et la population générale. Et celle
de l’Inrae en 2022 montrant la contamination générale des écosystèmes.

Malheureusement les alertes scientifiques se succèdent, comme une méta-analyse récente
montrant une forte accélération du déclin de la fertilité masculine. Ses auteurs appellent à
une action mondiale : les décideurs ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas.

Nous, chercheurs et chercheuses, médecins, demandons à l’Etat français qu’il agisse pour
l’adoption dès les prochains mois de la réforme du règlement Reach, cruciale pour la santé
publique. Et qu’il soutienne la proposition de la Commission européenne pour l’adoption
rapide du règlement sur l’utilisation durable des produits phytopharmaceutiques (SUR) pour
réduire la dépendance de l’Europe quant aux pesticides.



Premiers signataires : Isabella Annessi-Maesano, professeure,directrice de
recherche à l’Inserm ; Robert Barouki, professeur ; Jean-Marc
Bonmatin, toxicologue ; Pauline Cervan, toxicologue ; Nicolas
Chevalier, professeur, CHU de Nice et Inserm ; Xavier
Coumoul, professeur ; Barbara Demeneix, professeure ; Serge
Hercberg,professeur ; Olivier Kah, directeur de recherche émérite au
CNRS ; Emmanuelle Kesse-Guyot, épidémiologiste ; Pierre-Michel
Perinaud, médecin, président de l’Alerte des médecins sur les pesticides
(AMLP) ; Jean-Louis Zylberberg, médecin du travail.

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *